lundi 23 juin 2014

Etudier la forêt au Chili


L’avantage d’être en stage dans une fac c’est qu’on peut voir comment est fait l’enseignement ici. En discutant avec des collègues du labo, qui sont des élèves ingénieurs forestiers tout juste diplômés et des profs de la fac, je commence à me faire ma petite idée.

Juste pour le rappel
La forêt au Chili, c’est 2,9 millions hectares de plantations, plantés massivement depuis 1970. Les autres forêts, c’est du bosque nativo (souvent difficile d’accès, parfois dans des réserves gérées par la CONAF), dont la vocation première est la conservation, et donc surtout pas la production. Et oui, la gestion de forêts c’est la gestion des plantations ! 
Plantation de pins en Patagonie

L’histoire des facs d’ingénieurs forestiers
Dans les années 1970, parallèlement à l’augmentation des plantations d’eucalyptus et de pins, ouvrent 3 facultés d’Ingénierie forestière (Santiago, Concepción, Valdivia). Ce nombre augmente jusqu’au milieu des années 1990 où ce sont plus de 800 élèves/an sortant de 17 facs. Ça fait beaucoup surtout quand on compare à la France :
·         Pour une surface de forêt équivalente, mais où on se préoccupe surtout des plantations

·         Une population de 13 millions d’habitants (environ 20% de la population française à la même époque)
Résultat pas mal d’ingénieurs restent à vie sur des postes de techniciens en étant sur-qualifiés et le chômage est plutôt fort alors que le pays est en croissance économique. En effet, le besoin en ingénieurs forestiers est calculé à 50-100 ingénieurs/an pour l’ensemble du pays.

Courant 2000, beaucoup d’universités ferment, en 2003 il y a encore 650 étudiants qui entrent dans les 14 facs de ce domaine mais en 2012 ils ne sont plus que 100 dans 6 facs. Bien que conscients de leur surnombre, ça les surprend quand je leur parle d’AgroParisTech, seule école française formant à ce jour des ingénieurs forestiers. Mais ce qui les surprend le plus c’est quand je leur parle de ce qu’on y apprend.
A la Pontificia Universisdad Catolica de Chile, à Santiago, la forêt a aussi été rattachée à l'agriculture


Les facs au Chili
Il faut savoir que l’éducation supérieure au Chili, c’est dans la majorité des cas plus une histoire de business que de formation. Bien qu’il y ait un examen à la fin du lycée où les meilleurs peuvent choisir la formation qui les intéresse, c’est aussi une histoire d’argent car les droits d’entrée sont très chers. Par très cher j’entends plus de 6000€/an et les boursiers sont rares. Et malheureusement ce n’est pas dans la qualité des cours que se retrouve cet argent, mais plutôt dans les infrastructures assez imposantes et les privilèges/avantages des professeurs et directeurs. Depuis 2011 des manifestations d’étudiants demandent une reforme de ce système et Michelle Bachelet, présidente élue en décembre 2013 prône l’éducation gratuite dans son programme.


Allée centrale du campus de la Pontificia Universidad Catolica de Chile, à Santiago : fontaines, statues, espaces verts, église et immenses terrains de sport, un campus sur le modèle américain qui n'arrête pas de s'agrandir.

Qu’est-ce qu’on apprend en tant qu’ingénieur forestier?
Sur le papier le programme n’est pas bien différent de ce qu’on apprend à AgroParisTech : écologie végétale, sol, eau, climatologie, sylviculture, SIG, planification territoriale, statistiques, gestion forestière, restauration écologique… Super !

J'ai découvert la réalité en allant faire une sortie terrain avec des étudiants d’équivalent M1. Ils ne connaissaient pas les arbres mais n’avaient pas pris de flore pour les déterminer, ne savaient pas se servir d’un dendromètre et prenaient le D1.3 tantôt au ras du sol, tantôt en biais, tantôt à hauteur d’épaule. OK, ce ne sont peut-être pas des gens de terrain, allons voir ce que ça donne au laboratoire. En fait, c'est un peu la même chose : je me rends compte que ma formation pas encore achevée me donne une meilleure maitrise d’outils comme ArcGIS et les statistiques que des doctorants formés ici.
Cependant, on trouve de nombreux futurs forestiers avec une spécialisation dans la programmation et les images satellites, les index de végétation et la modélisation. Ça c’est une grande nouveauté pour moi. Également quelques profils d’étudiants qui font une  licence en physique, informatique ou maths puis un master en forêt pour appliquer ces outils.

Et sur la gestion forestière ça donne quoi ?
Les notions de taillis et futaie sont inconnus, je ne parle pas même pas de la futaie irrégulière. Leurs cours de gestion forestière c’est comment gérer des plantations qui suivent un rythme de plantation- croissance-coupe rase-plantation tous les 30 ans. Car pour eux, 50 ans c’est une rotation longue… Aïe !
Photo satellite Google map de la région du Maule
On voit bien les plantations mûres et juste plantées, le sol nu et en plus clair, la forêt native

La gestion se fait depuis les bureaux des grandes firmes qui possèdent le terrain, avec des modèles de croissance et  de la télédétection. Pas beaucoup de boulot de terrain vu qu’il n’y a pas de martelage, mais beaucoup plus de planification et de logistique.

Les ingénieurs forestiers, vers une crise ?
Des étudiants qui ne trouvent pas de poste, des coupes rases avec impact paysager fort, des revendications mapuches et écologistes… Les ingénieurs forestiers ont de moins en moins la cote. La solution ? On change le nom de la formation en intégrant environnement et gestion des ressources naturelles mais le contenu reste le même car les postes, eux, ne changent pas.

On espère que ça va donner un nouveau boom dans les entrées à la fac et dans l’emploi mais il faut que ce système fasse ses preuves. Les métiers derrière cette nouvelle formation c’est effectivement gérer les plantations, mais aussi travailler auprès des grandes exploitations minières. Pour répondre aux exigences du gouvernement et avoir bonne presse, elles mettent en place des actions de restauration écologique ce qui recrute pas mal d'ingénieurs en environnement. Mais à ce que je crois comprendre, c'est plus de green washing que d'actions réelles. Résultat à voir d’ici quelques années. 
 











A gauche, au second plan, les résidus d'une exploitation minière dans la région de Rancagua. Zone privée et interdite d'accès.
A droite une vue satellite Google map de la surface que représentent ces résidus. 
Quelle place pour la forêt?





Je dresse un tableau plutôt mitigé de cette formation car je suis un peu déçue, pensant en apprendre beaucoup sur la forêt au Chili. Mais comme partout il y a une possibilité de changement : des étudiants très motivés se lancent dans des doctorats ou alors partent étudier en Europe. Pourquoi ça ne fait pas beaucoup évoluer la formation au Chili ? Parce que ces étudiants s'installent au Canada ou aux États Unis dès que possible car c’est là que se trouvent l’argent et les moyens. Ceux qui restent s’investissent dans des associations mais ils ont encore beaucoup de chemin à faire.

3 commentaires:

  1. Il n'y aurait que 2.9 hectares de forêt au Chili en plantation?

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  2. Effectivement, on est loin du compte. Il manquait un petit million derrière le 2.9! Joli coup d’œil, je modifie de suite!

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  3. Sans doute, faut il plus du temps pour que l'enseignement au Chili évolue, mais tes questionnements (pertinents j'en suis sûr) et ceux d'autres stagiaires, d'autres continents, attisent la curiosité des étudiants chiliens et favorisent le brassage de connaissance..

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